Paroles du poète Hölderlin
Ils en ont pourtant de leur propre
Immortalité, les dieux assez, et ils ont besoin
Les Célestes d'une chose,
Une seule : ce sont les héros et les hommes
Et les mortels par ailleurs. En effet, comme
Les Bienheureux ne ressentent rien d'eux-mêmes,
Il est bien nécessaire, s'il est permis de dire
Une telle chose, qu'au nom des dieux,
Prenant part,ressente un autre,
Celui-là , il le leur faut ; toutefois leur justice
Est que sa propre maison
Il renverse, lui, et ce qu'il a de plus cher
Comme ennemi il l'injurie et s'ensevelisse
Père et enfant sous les décombres,
Si un homme veut être comme eux et ne pas
Souffrir l'inégal, le fantasque.
Paroles tirées du poème Le Rhin traduit par F. Fédier
Mais,ami ! Nous venons trop tard, il est vrai, les dieux vivent,
Mais au dessus de nos têtes, là-haut, dans un autre monde
Là ils œuvrent sans cesse, et semblent bien peu attentifs
A notre vie, tant Eux dans le ciel nous ménagent,
Car un vase fragile ne peut toujours les contenir,
Seulement par instant l'homme supporte la plénitude divine.
Rêver d'eux, telle est ensuite notre vie. Mais l'erreur,
Comme le sommeil nous secourt, et ce sont détresse et nuit qui rendent forts,
Jusqu'à ce que des héros, dans les berceaux d'airain aient grandi
Et que leur cœur soit, comme alors, semblable en force aux Immortels.
Ils viendront, dans l'orage tonnant,.Jusque-là, il me semble,
Mieux vaut dormir que d'être ainsi compagnon
Et d'attendre ainsi, et ce qu'il nous faut dans l'attente faire et dire,
Je ne sais, ni pourquoi des poètes dans les temps d'indigence.
Mais ils sont, dis-tu, comme les prêtres saints du dieu de la vigne
Qui passaient dans la nuit sacrée de pays en pays.
Paroles tirées du poème Pain et Vin ,Traduction de Jean-Pierre Faye
Ainsi est l'homme : quand là est le bien , et que pour lui s'inquiète et se charge de dons
Un dieu même, et il peut le savoir ni le voir,
Porter le souffrance, c'est d'abord ce qu'il doit, et alors il nomme qui lui est le plus cher,
Alors, alors doivent les paroles, comme des fleurs, se lever.
Alors il se propose gravement d'honorer les dieux bienheureux
En effet et en vérité doivent toutes choses doivent toutes choses proclamer leur louange.
Rien ne doit voir la lumière qui ne plaisent à Ceux d'en Haut,
Devant l 'Ether n'ont droit de paraître d'inutiles tâtonnements
Paroles tirées de Pain et Vin ? traduction de Jean-Pierre Faye
Les dieux éternels sont
Pleins de vie tout le temps ; jusqu'à la mort
Un homme, pourtant peut-aussi
En mémoire malgré tout garder ce qu'il y a de meilleur,
Et alors il connaît ce qu'il y a de plus haut.
Seulement chacun a sa mesure.
Car lourd est à porter
Le malheur, mais le bonheur est plus lourd.
Un sage pourtant a su
Du midi jusqu'à la minuit
Et jusqu'à ce que le jour resplendît,
Au banquet rester lucide.
Le Rhin, traduction de F. Fédier
Et tout comme en l’œil un feu scintille à l'homme ,
Quand c'est haut ce qu'il a projeté, ainsi est
A nouveau aux signes, aux gestes du monde à présent
Un feu allumé en des âmes de poètes.
Et ce qui avant a eu lieu, mais à peine ressenti,
Voilà que c'est manifeste seulement à présent,
Et celles qui, souriantes, nous ont cultivé l'arpent,
Sous figure serve, elles sont connues, elles,
Les Toutes-Vivantes, les forces des dieux.
De là vient que boivent feu céleste à présent
Les fils de la Terre, sans péril,
Pourtant à nous revient, sous les orages de dieu,
Ô poètes ! Tête nue de nous tenir debout,
Et le Rayon du Père, lui-même, de notre propre main,
De le saisir et au peuple, en l'ode
Revoilée la donation céleste de la tendre,
Car ne sont de cœur pur
Comme des enfants, que nous, sont innocentes nos mains
Le rayon du Père, le pur, ne l'enflamme pas
Et profondément remué, aux souffrances d'un plus fort
Compatissant, demeure dans les tempêtes s'abattant de très haut,
Du Dieu, quand il approche, le cœur cependant ferme.
Cependant malheur à moi ! Si de
Malheur à moi !
Et je dis aussitôt,
Que je me suis approché pour regarder les Célestes,
Eux-mêmes, ils me jettent loin sous les vivants,
Faux-prêtre, dans les ténèbres pour que je
Chante l'ode de mise en garde aux dociles.
Là-bas
Paroles tirées du poème : Tout comme au jour de fête.... Traduction de F. Fédier
Car le dieu qui ménage et toujours connaît la mesure
Ne touche qu'un moment les demeures des hommes,
Et brusquement, et personne ne pourrait dire : quand ?
Et l'insolent peut alors passer ce même chemin,
Il faut qu'au lieu sacré l'esprit sauvage arrive
Venu des fins lointaines,exerçant à tâtonnements rugueux l'illusion,
Et rencontre là un destin, mais le merci, jamais
N'est dit de suite pour le cadeau divin après qu'il est donné :
Il faut le prendre à mains qui profondément cherchent
Il est vrai que si celui qui donne n'avait ce ménagement,
Depuis longtemps déjà le foyer généreux
Nous aurait incendiés de la terre aux sommets.
Pourtant nous recevons du divin
Abondance. C'est la flamme qui fut
Mise en nos mains,et les berges, et le flot de la mer.
Et beaucoup plus encore, car d'humaine façon
Ces choses nous paraissent, ces forces inconnues, nous être familières.
Et l'astre que tu vois t'apprend,
Quand bien même jamais tu ne peux l'égaler.
Mais de l'immense tout vivant d'où viennent
Les joies nombreuses et les chants
Il est un fils, c'est une force puissante et tranquille,
Et maintenant nous le reconnaissions,
Maintenant que nous connaissons le père,
Et que l'esprit du monde, le Très-Haut,
Pour que nous tenions des jours de fête,
S'est incliné vers les hommes.
Car il était depuis longtemps trop grand pour être le seigneur du temps
Et son champ s'étendait très loin, mais quand cela l'aura-t-il épuisé ?
Mais un jour un dieu peut aussi élire un ouvrage de jour,
Comme font des mortels et partager toute destinée,
C'est la loi du destin, que tous s'apprennent,
Que lorsque revient le silence, il y ait aussi un langage
Mais où œuvre l'esprit, nous sommes là aussi, et disputons
Que serait le mieux ? Ainsi le mieux est maintenant à mes yeux
Que soit achevée son image et qu'il en ait fini le maître
Et que lui même par elle illuminé sorte de son atelier,
Le silencieux dieu du temps,et que seule la loi d'amour,
La loi de belle harmonie règne d'ici jusques au ciel.
Paroles tirées du poème : Fête de la Paix, traduction de Jean Bollack
Tant j'ai vu de la beauté,
Et chanté de Dieu l'image,
Vivante parmi
Les hommes, mais
Cependant, vous dieux de jadis, et tous,
Ô vous les fiers enfants des dieux,
Il en est un encore,que je cherche, que
J'aime d'entre vous,
Où ce dernier de votre race,
Et de la demeure ce joyau, à moi
L'étranger, votre hôte, me le dissimulez.
Mon Maître, mon Seigneur !
Toi, ô mon conseil !
Pourquoi es-tu au loin
Demeuré ? Pourquoi te tenais-tu
En dehors ? Et à cette heure, est comble
D'une tristesse mon âme,
Comme si jalousement, célestes, vous-même veilliez
A ce que, vaquant à l'un, sitôt
L'autre me manque.
Je le sais cependant, mienne
Est la faute ! Car à l'excès,
Ô Christ ! Je tiens à toi,
Quand même le frère d'Héraklès
Et hautement je l'avoue, tu
Es ce frère aussi de l'Evios qui
A son char attacha
Les tigres et, plus bas, jusqu'à l'Indus
Prescrivant office de joie,
A la vigne planté, et
Le courroux contenu des peuples.
Me retient cependant, comme une honte
A rapprocher de toi
Les hommes de ce monde. Et à l'évidence, je sais
Qui toi-même t'a engendré, ton Père
Le même qui
Car jamais il ne règne seul
A l'un cependant, reste seul attaché
Mon amour Excessif, oui
Le chant sera, pur élan du cœur
Allé cette fois.
Cette faute, je veux la réparer
Si à nouveau je chante.
Jamais je ne frappe comme je le souhaite, au juste
La mesure. Mais un dieu sait
Quand viendra ce que je souhaite,à la perfection.
Car de même que le maître
S'en fut par la terre
Aigle captif
Et beaucoup, qui
L'avisèrent, eurent une crainte,
Cependant qu'à la limite œuvrait
Le Père, et à la perfection entre
Les humains donna une forme en vérité et
Le Fils connut grande tristesse lui aussi, jusqu'à ce
Qu'au ciel il s'en fut allé par las airs,
A lui pareille est l'âme des héros captive
Les poètes, aussi, doivent
Eux de l'esprit, être du monde.
Paroles tirées du poème : l'Unique (première version) traduit par André du Bouchet
Hommage à Saint-John Perse
« Nos œuvres vivent loin de nous dans leurs vergers d'éclairs » Nous entendrons encore votre parole qui passe la mesure du temps, et les eaux-vives de votre poème qui chantent au cœur illuminé de l'éternel instant.
Et vos œuvres nourrissent plus d'un cœur fervent et brillent à nos vaisseaux d'exil et d'aubes éblouies, brillent comme pains de lumière à nos chemins de nuit.
« (Que) le poète proféré se hâte dans l'Histoire » ! Et nous écouterons longtemps encore sa parole résonner sur tous rivages où médite notre âme « l'oreille à ces coraux où gît la plainte d'un autre âge »
Comme vous l'exprimiez, lors de l'attribution du Prix Nobel qui à vos yeux était jour de célébration de la Poésie, « Le poète existait dans l'Homme des cavernes, il existera dans l 'âge atomique : parce qu'il est part irréductible de l'homme. De l'exigence poétique, exigence spirituelle, sont nées les religions elles-même, et par la grâce poétique, l'étincelle du divin vit à jamais dans le silex humain » .
Elle vit « par la grâce d'un langage où se transmet le mouvement même de l'être » Et cet éclat singulier du langage qui habite à jamais votre œuvre continue de briller comme astre unique dans la constellation des plus grands poètes qui s'en vinrent, porteurs d'un souffle d'or, chanter le mystère de cette nuit d' Homme et l'énigme de sa destinée aux marches tragiques de l'Histoire.
Astre solaire dans la nuit du monde ou comète qui a surgi dans le ciel toujours imprévisible de la poésie et comme l'essence même de sa fulguration, votre œuvre vit au cœur d'homme, comme sa langue originelle, langue vernaculaire de l'Ether et de la Mer.
Ainsi avec l'éclair au front du poète toute langue natale s 'éveille-t-elle depuis toujours des limbes de son bois dormant, ainsi votre voix singulière s'élève-t-elle d'un coup d'ailes sûr comme une pluie d'oracles au dessus de la mer immense d'une langue-mère et de plus longue mémoire ! Et c'est la voix pure d'une langue vernaculaire de l'âme et de l' Ether où prend naissance la poésie ensemencée de son nocturne mystère.
Et de cette langue-mère immémoriale a pris forme votre poème où sous le souffle d'un grand rythme périodique exulte un peuple d'images euphoniques parmi les nombres retrouvés de l' harmoniecosmique !
Saint-John Perse avec cette poésie qui sculpte votre masque d'or aux portes muettes du divin, retrouvons le vaste mouvement rythmique de l'univers et son énigme originelle en ce battement d'ailes majestueux de l' Oiseau qui suspend son vol au dessus de la Mer.
Retrouvons dans le grand souffle prosodique du verset rythmé et assonancé, l'appel de ce mystère poétique donné « par la grâce d'un langage où se transmet le mouvement même de l'être » .
« Message reçu en langage clair par illumination du cœur »
Saint-John Perse vous êtes entré par effraction divine, avec ce souffle venu des îles, comme une visitation au pays de la raison et comme une oraison sur le pays de France. Et de votre île natale venu aux rives de France où fut ciselé par l'orfèvrerie des siècles ce pur diamant d'une langue où miroite la clarté, vous avez su gagner toutes rives à la contagion d'une parole vivante, errante sur toutes grèves de ce monde.
Au cœur du naufrage où sombrait le vaisseau démâté de la vieille Europe, vous avez saisi toute la noblesse d'un très beau chant en la stance pure de l'exil et garder très haute la voile du navire hélé d' augures « vers la mêlée des eaux nouvelles ».
Et gardant votre regard de nocturne vigile à la proue de ce vaisseau d'exil, vous avez vu monter au cœur d' aubes inouïes un nouvel horizon du mystère poétique sur son berceau d'eaux-vives et de nuit.
Vous avez su élever jusqu'à la grâce et sa scansion incandescente, la beauté de cette langue d e France et apposer le sceau unique du génie à la geste lumineuse de votre grand poème. » Et n'a-t-il point mimé le mouvement même de l'âme humaine et de l'histoire, voguant sur « cette ^même vague depuis Troie » ?
Assumant l'honneur de la langue natale, et subsumant « l'éclat insoutenable du langage » pour en faire le fervent vassal de l'éclair vous avez forgé cette invulnérable épée de la parole poétique où scintille l' essence spirituelle de l'être !
Et n'aviez-vous affirmé que « toute poésie est une ontologie » ?
Saint-John Perse, pour honorer votre mémoire nimbée du sceau de cette grâce poétique où « le génie frappe à coups sûrs aux lobes d'un front pur » comme pour saluer votre louange fervente à toutes choses errantes par le monde, où trouverions-nous les signes d'une plus sûre inclination devant votre œuvre de haut lyrisme qu'en ces paroles d'éloges par vous-même prononcées en l'honneur de Dante, à l'occasion du sept centième anniversaire de sa mort :
« Il a vécu à hauteur d' Homme des temps qui ne sont pas le temps de l'Homme » .
Et de ce plus vaste embrassement des mondes, de cette plus haute saisie du mystère qui fonde la vocation de la poésie, et dit « l'homme éternel au foyer de l'instant » vous avez su en être ce pur écho qui hante votre fascinant verset et résonne jusqu'aux rives d' autres temps: «Le temps que l'An mesure n'est pas mesure de nos songes »
Et cette plus intime et singulière expérience de la nuit explorée, fût-elle jamais mieux évoquée qu'en vos strophes d'Amers ?
« Ils m'ont appelé l'Obscur et j'habitais l'éclat. L'année dont moi je parle est la plus grande Année »
«Je dis qu'un astre rompt sa chaîne aux étables du ciel et l'étoile apatride chemine dans les hauteurs du Siècle vert »
Saint-John Perse, où trouverions-nous strophe plus limpide, qui porte trace de votre connaissance intime du mystère poétique et rende grâce à votre vision de poète levé dans l'estime ?
« Poète est celui-là qui rompt pour nous l'accoutumance ».
Georges de Rivas
Fumerolle
Ces souffles charbonneux, des ères calcinées,
Privés, de leurs rameaux, et bourgeons, consumés,
Que des cris emprisonnent, comme l'air aphone,
N'assonnent guère plus au-delà du Léthé.
Ô ! amère lueur dans l'âme, érysipèle
Au cœur du Poète en flammes perpétuelles...
Musagète Fumerolle qui aspire au
Choeur de Babel emmuré sous les feux du ciel,
Du fond des crasses scories, étincelle encor !
Renais irisée de la cendre chargée d'or !
Ô! déchire la voûte creuse du Tartare
Libère la racine, allume l'athanor !
Laurie Thinot, le 05/10/2013.