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Irisalyre
5 octobre 2013

Irisalyre ou la vocation de la Poésie

 

 

Le nom inventé et qui s'est imposé pour titre de ce blog a jailli dans le sillage d'une fulguration ou parole poétique devancière. Sa résonance native, sa source inspiratrice se trouve dans un poème de René Char , dans la page d'un livre que l'auteur a ouvert par hasard. Elle attendait blottie dans le nom tiré du recueil « Lettera amorosa » à la page 55 du poème intitulé Franc-bord (Gallimard).

 

 

 

René Char fidèle à la définition de cette figure de l'Olympe l'évoque en tout premier lieu ainsi :

 

« Iris nom d'une divinité de la mythologie grecque qui était la messagère des dieux. Déployant son écharpe, elle produisit l'arc-en-ciel. »

 

 

 

Cette image correspond parfaitement à l'intention originelle de ce blog consacré à la poésie et à l'une de ses préoccupations essentielles relatives à sa présence au monde, aux conditions de son rayonnement et de son renouveau possible à l'heure où, aux prises avec une sorte d'omerta médiatique et en proie au pouvoir des structures technoculturelles, elle semble vouée à une inexorable disparition de la vie de l'âme et de la vie sociale, comme de l'horizon moral et spirituel des nations : en particulier de l'horizon de la littérature nationale française !

 

Cette mise sous le boisseau de la parole poétique, au nom d'une marchandisation effrénée des êtres et des choses, ne laissant qu'une place infime au poète dans la Cité éveille le souvenir des grands prédécesseurs qui surent incarner l'insurrection de l'âme et l'esprit de résistance contre les démons qui de manière récurrente ont envahi la scène historique et abîmé l'image de l'espérance «  en s'appuyant sur les parties les plus déshonorés de l'âme humaine » ainsi que l'exprimait le René Char aux heures les plus sombres, les plus tragiques et les plus décisives de la Résistance ».

 

« Leur crime, un enragé vouloir à nous faire mépriser les dieux que nous portons en nous » écrivait-il encore !

 

Comment ne pas voir chez le poète engagé de « Fureur et Mystère » comme un écho de la parole du poète Hölderlin qui dans un autre siècle s'interrogeait sur le sens de la disparition ou de l'oubli des dieux de l'horizon historique et de la vision de l'Homme ?

 

 

 

Toute influence ou résonance est féconde dans la généalogie de la création poétique et vit au sein de l'incessante recréation à laquelle le mystère poétique convie le poète «  dans la longue phrase toujours en voie de création » . Et cette filiation secrète est d'autant plus féconde et créatrice dès lors que «  l'on ne voit pas la main du défunt » écrivait encore René Char.

 

Bien sûr plus d'un écart appert entre le poète du pays allemand qui s'immobilisa en écoutant tour à tour et simultanément aux portes des dieux grecs comme au seuil du grand mystère de l'Unique, le dieu en la personne du Christ, mais l'essence du génie poétique et » la marche forcée dans l'indicible » qui lui est consubstantielle atteste chez l'un et l'autre de la présence de la nuit originelle et de l'emprise de de ce nuage d'inconnaissance à partir desquels se produit la fulguration de l'éclair et l'inspiration du poète.

 

Elle atteste de la vocation unique du poète qui au seuil comme au sommet de sa quête accomplit une œuvre indispensable à la survie de l'interrogation spirituelle au sein du long cours de l'histoire humaine. C'est ce qui n'avait pas échappé à la vision précoce de Rimbaud et à son poème intitulé « Génie «  Et si la poésie est in-dispensable, c'est bien au sens qu'aucune autorité ne saurait la dispenser, qu'elle ne saurait être enseignée, encore moins ex-pliquée, car elle requiert  « l'entière démarche du poète expatrié de son huis-clos »(René Char).

 

En cette sortie ou dépassement de soi vit l'aspiration à la rencontre de la transcendance, quête et présence de cette « essence de ciel » évoquée et invoquée par Hölderlin et d'autres poètes. Où donc se trouverait-elle si ce n'est dans le cœur même du poète, en cette rencontre avec la messagère des dieux descendue sur le mode de l'éclair des hauteurs de l' Ether et déployant à l'entour de la terre son écharpe créatrice de l'arc-en-ciel ? Arc-en-ciel né de la rencontre de l'ombre et de la lumière, de la matière et de l'esprit, du terrestre et du céleste !

 

Et le poète lui-même messager des hommes ainsi uni à la messagère des dieux !

 

Et la poésie dans sa vocation originelle retrouvée, la poésie au cœur du sublime enjeu du devenir de la terre et des cieux comme des hommes et des dieux !.. Hölderlin ne nous montre-t-il l'évidence du rapport du poète et des dieux, celle qui veut que les Célestes qui se sont retirés dans les Hauteurs ne ressentent rien par eux-même et ont besoin du sentir du poète pour s'éprouver à nouveau .

 

Les dieux ou êtres spirituels selon Hölderlin ou pour le dire autrement et ne pas froisser les tenants d'une orthodoxie laïque les forces de l'esprit auraient-elles donc besoin du cœur de l'homme pour poursuivre leur évolution- et ce faisant demeurer sources d'inspiration des hommes,

 

 

 

C'est dire alors que l'accélération soudaine du génie dont parlait Grotowsky est au cœur du mystère de la création poétique ; c'est dire aussi l'importance de l'appel ressenti par le poète, l'appel silencieux des dieux muets en quête de la parole du poète pour se ressentir eux-même, pour retrouver leur vocation oubliée d'inspirateurs de la poésie : l'expérience d'une connaissance originelle qui a précédé toutes les religions !

 

 

 

C'est dire encore en vue de la résurrection spirituelle de l'homme combien la poésie est au cœur d'un enjeu de sens et de beauté et l'importance de la beauté comme signe du lien éolien recouvré entre le monde sensible et le monde suprasensible des Intelligibles : le monde spirituel où se tiennent et songent les Célestes , dont le rationalisme historique a sonné la disparition aux yeux de la conscience moderne. Et n'est-il pas avéré comme l'a écrit Paul Ricœur, que « l'homme moderne n'a pas d'autre horizon que celui de sa raison ?

 

 

 

Et c'est dès lors souligner davantage ici l'impérieuse nécessité et la primauté de la parole poétique à l'heure des plus grands dangers, ceux-là même que nous vivons, comme des grands changements opérés au tournant des crises de civilisation : la prééminence de l'expérience poétique au cœur des plus grands tourments et la vision de Hôlderlin affirmant que « c'est au début et à la fin d'une ère que surviennent les grands poètes »

 

Du cœur de la nuit revêtue de son sceau spirituel, du cœur de l'homme qui en appelle encore au cortège des Muses ouvrant les voies de la beauté et le mystère poétique , surgit cet intangible qui nous attend par delà les brumes fongibles du néant, qui nous appelle et nous intime au cœur de notre nuit de lui répondre présent!

 

 

 

Et n'avons-nous pas en ce temps de détresse, plus que jamais besoin de la poésie « comme le pain de chaque jour », la parole poétique qui surgit telle une comète imprévisible dans le ciel ordonné de la littérature, celle qui veille en son berceau de nuit et son essaim d'augures au seuil extrême de l'urgence, comme signe de l'invincible espérance et sous le sceau de la pure nécessité intérieure ?

 

Car la beauté hauturière évoquée par René Char ne saurait être durablement révoquée de l'horizon moral et spirituel du poète qui lancera en plein cœur de la Résistance, au sein du plus grand désarroi cette salve d'espérance : « Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la Beauté , toute la place est pour la Beauté »

 

Comment ne pas vibrer à cette parole et y entendre comme un écho de la sublime injonction du poète Hôlderlin ; « C'est poétiquement que nous devons habiter le monde »

 

 

 

De cette vision d'Iris déployant l'arc-en-ciel comme un pont entre les hommes et les dieux procède le nom accordé à l'esprit de ce blog consacré à la poésie : Irisalyre.

 

Irisalyre évoque Iris la messagère des dieux venant à la rencontre des aspirations du poète, inspirant son cœur : Iris à la lyre par contraction-condensation s'est muée en Irisalyre ;

 

En ce processus de contraction-condensation se produit le mariage inattendu du langage numérique et de la langue poétique : l'émergence d'une image euphonique en l'apparition sonore d'Irisalyre .

 

Irisalyre contient la résonance métaphorique du mot irisation qualifiant le processus météorologique de l'arc-en-ciel : pont entre la terre et le ciel, les hommes et les dieux réels ou tout simplement imaginés, rêvés, nostalgiquement appelés ou interpellés du fond de l'abyme où se trouve plongée la civilisation ou la déréliction de l'homme contemporain.

 

 

 

Irisalyre atténue enfin ce que la sonorité Iris pourrait avoir d'un peu dur et l'allitération introduit une nuance plus suave et une résonance inchoative qui signe l'appel irrépressible, le mouvement irrésistible vers le futur, l'aimantation du devenir.

 

Irisalyre peut aussi se lire (et s'écrire) sous la forme et dans l'acception de  « Iris à lire » : appel à la lecture, invitation à l'herméneutique du mystère demeuré mystère qui est l'essence de l'expérience poétique. Nomination énigmatique et éclairante à la fois, elle embrasse l'homme et le cosmos dans son geste divin, ouvre l'immensité des libres avenues et ses mains tendues vers l'absolu tissé d'amour, à la contribution des esprits qui par affinités électives souhaiteraient enrichir le blog.

 

 

 

L'arc-en-ciel est le sceau du spirituel sous lequel se tiennent les hommes et les dieux mais aussi l'homme et la femme, « le poète avec la femme à ses côtés s'informant du raisin rare » (René Char)

 

A partir de cette nuit antérieure à toute lumière, nuit cosmique originelle perçue par l'ouïe intérieure du poète et qui caractérise à nos yeux l'essence de l'expérience poétique, peuvent être conçues à l'évidence de nombreuses figures du mystère poétique et de la création artistique en général.

 

Ainsi ce blog est-il conçu comme chambre d'échos de la parole poétique endormie et rêvant dans son berceau de nuit cosmique, chambre d'échos du commencement mais aussi chambre d'échos de voix singulières montées de ces eaux-mères où se désaltère la soif de toute âme humaine en quête de sens et de beauté.

 

L'arc-en-ciel symbolise la concordance des sensibilités et des visions, cette cordiale fraternité des êtres, cette communion spirituelle des âmes et pour l'essentiel l'Ouvert accueillant des troubadours et des trouvères qui chantaient hier ou se tiennent, vigies de la nuit au seuil du troisième millénaire.

 

 

 

Avec Irisalyre, s'exprime l'image - ou l'idée au sens grec qui se confond avec la vision, les grecs pour qui les mots lumière et évidence avaient la même origine- l'image de l'irisation de la lumière originelle dans l'eau vive de l'amour, le rayon solaire de l'esprit dans la goutte d'eau (du sentiment) l'apparition-présence de l'universel dans le singulier..............Apparition au sein de l'Agora poétique que nous appelons de nos vœux les plus fervents, nous qui croyons avec René Char que « l'évasion dans son semblable avec d'immenses perspectives  de poésie sera peut-être un jour possible »

 

Et quand nous parlons d'Agora poétique, ce que nous entendons par poétique c'est le sens antique et étymologique du mot : Geste créateur de celle, celui qui fait apparaître, crée, engendre le nouveau !

 

 

 

Et avec l'arc-en-ciel qui symbolise les sept couleurs du prisme, voire les sept notes de la gamme musicale, mais aussi tous les arts, nous entrons en résonance avec toutes sortes de correspondances, convergences d'intentions et de visions. Il s'agit aussi de saisir le sens de poésie dans ses rapports avec d'autres formes de création où peuvent s'envisager le partage et le voisinage des sources communes et des impulsions spirituelles qui animent et inspirent ces différentes formes de création.

 

 

 

Voilier d'augures veillées par un vol de colombes, la poésie révélée dans le vélin de l'espérance est parole vivante venue du futur. Corps de la lumière et cœur dilaté aux rives de l'éther sonore où murmurent les morts, la poésie est le souffle de la parole éolienne qui unit à nouveau les hommes et les dieux. Elle vit en cette éternité momentanée du poème parmi les nombres et les rythmes retrouvés de l'harmonie cosmique.

 

 

 

Car c'est sous le regard des morts que se déroule la création poétique, les morts qui vibrent à la musique du poème plus qu'à la prose ou aux concepts abstraits ! Les morts qui  parlent à notre ouïe intérieure à travers l'oreille du coeur, qui suivent et saisissent, le fil d'or qui a tissé l'immense tapisserie de l'univers et dont nous ne voyons que l'envers du décor. Or à l'endroit où vivent les morts bercés par la musique des sphères, seule la parole poétique trouve un écho «  par la grâce d'un langage où se transmet le mouvement de l'être ».

 

 

 

Parler poétiquement et habiter poétiquement le monde constituent ainsi une impérieuse exigence et une nécessité intérieure tant pour les morts qui ne sont pas morts que pour les vivants et les dieux :

 

 

 

Il s'agit d' une exigence imposée aux grands devanciers, les poètes, qui selon Hölderlin parviennent le plus vite et les premiers à l'abyme et en raison de ce sacrifice savent qu'il « manque les noms sacrés »... ceux qui nomment les dieux oublieux du destin des hommes et interpellent les hommes eux-même plongés dans la nuit de l'oubli des dieux.... Tous ceux qui ne prennent pas garde à la vocation unique de la poésie, tous ceux qui par mégarde et cécité spirituelle oublient la parole de Novalis : « L'amour est le commencement et la fin de l'histoire du monde, l'amen de l'univers »

 

 

 

Aussi la poésie ne saurait-elle se limiter à un  « événement intérieur », fut-il le plus sublime, le plus beau et le plus créateur ! Ô vol de la Colombe au milieu des bombes, du viol des femmes et du massacre des enfants, vol tragique au dessus de ces morts privés de tombes, au dessus de ces migrants naufragés à quelques mètres du rivage engloutis dans leur tombe d'eau saline , Ô vol de colombes au cœur d'une heure funèbre, suspends le Temps !

 

Suspends le cours de ce temps damné qui enserre l'espérance dans son étau d'égoïsme et de mondanité, suspends ce temps d'indignité gouverné par les fléaux cruels de l'indifférence  et de la vanité, et renouant la parole à l'acte d'amour, répands un souffle d'éternité, un souffle nouveau par delà le tombeau de la civilisation!

Et que vienne un autre temps, celui dont parle Octavio Paz :

 

« Le temps est lumière qui se pense » Que cette lumière dispense enfin ses plus purs rayons , qu'elle passe à l'action, geste irradiante de la poésie, et épouse à jamais l'amour enfoui au cœur d'homme !

 

 

 

Sur la page blanche où l'âme insurgée du poète vient à pousser son cri, sur la page blanche où la poésie change parfois le cri en chant, les mots une fois écrits déploient-ils leurs ailes blanches hors de l'écrit, de la vision et du récit ? Ou devons-reconnaître avec René Char que « la poésie n'est pas partout souveraine » ?

 

« Je t ai pesé poète et t'ai trouvé de peu de poids » écrivait aussi Saint-John Perse. C'est là une bien vive douleur, une terrible question qui se pose à l'heure où s'achève ce texte en ce jour endeuillé du 4 octobre 2013. Plus de trois cent morts à l'issue du naufrage qui s'est produit à quelques encablures du rivage de Lampedusa! Comment ne pas mesurer, face au sort tragique de ces femmes, hommes et enfants, l'abîme qui sépare notre terre de la promesse de l'amour qui lui est faite ? Comment ne pas voir le fossé incommensurable qui s'est établi entre les riches et les pauvres ?

 

 

 

Et au cœur de cette tempête planétaire, du fond de ce désarroi tragique, le poète élèvera-t-il à nouveau la voix, et sa flamme vacillante aux vents de la fatalité historique, la flamme toujours vaillante de son cœur peut-elle encore éclairer les rives du futur ? Qui ne rêverait que les mots même de l'amour ne s'échappent de la page pour devenir des actes et « changer la vie »?..... Pour devenir les armes du miracle qui du toucher de l'âme feraient revenir les naufragés à la vie!

Nous touchons là à l'impuissance que viendra visiter, non pas le visiteur funèbre, apôtre du désenchantement, mais le mystère du dieu vivant de l'amour dont notre cœur est par droit de naissance dépositaire.

 

 

 

Hölderlin a vécu au seuil de la folie cette impuissance à nommer l'indicible car, disait-il, «  souvent manquent les mots....et il faut nous taire ». C 'est dire si la poésie est la voie de l'Humilité et suppose un exercice spirituel de tous les jours. Et en cette ascèse du silence, elle rejoint la voix des grands mystiques, à commencer par l'apôtre des pauvres, Saint-François d'Assise.

 

Et en ce jour où le calendrier chrétien célèbre la fête du « Poverello » , en ce jour où l''île de Lampedusa ne trouve pas assez de cercueils pour enterrer les naufragés de la misère a pris à peine forme-- à grand peine du cœur- cette esquisse d'une vision poétique où le poète se trouve entre ciel et terre, au cœur d'un mystère et au milieu des forces élémentaires de la foudre et du tonnerre, de l'éclair et de l'orage qui frappent à sa fenêtre comme si elles signaient la présence des dieux

 

Et ce texte qui s'achève dans la nuit zébrée d'éclairs, nous le dédions au poète en actes Saint-François d'Assise et à nos frères migrants célébrés et salués par le roulement incessant du tonnerre !

 

 

 

Solliès  ce 4 Octobre 2013                                                                                                                      Georges de Rivas

 

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